Face au risque de nouvelles inondations, le Congo-Brazzaville entre adaptation et résignation

Face au risque de nouvelles inondations, le Congo-Brazzaville entre adaptation et résignation

Fin 2023, le Congo-Brazzaville a subi les pires inondations de son histoire récente.

Fin 2023, le Congo-Brazzaville a subi les pires inondations de son histoire récente. Les rivières ont débordé dans des proportions sans précédent, causant des dégâts considérables : 1,79 million de personnes ont été touchées, un Congolais sur 12 a eu besoin d'une aide humanitaire. La Likouala, le département le plus éloigné de la capitale, a également été le plus touché. Des envoyés spéciaux de RFI s'y sont rendus en septembre 2024 avec une équipe de l'UNICEF.

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Pour rejoindre les rives de l'Oubangui dans le département de la Likouala, depuis Brazzaville, il faut d'abord parcourir 800 km jusqu'à Ouesso, à la frontière camerounaise, traverser la rivière Sangha en ferry, puis faire six heures de route sur une route en latérite rouge à travers le forêt équatoriale.

Depuis Bétou, certains villages sont accessibles par la route. D’autres sont accessibles en pirogue, comme Ikpengbele, où lors des précédentes inondations, l’eau a tout envahi.

« Nous pourrions faire le tour du village en pirogue », explique Bongo Abdoulaye, son chef. « Nous n’avons pas vu de telles inondations ici depuis 1953. Nos parents ont alors perdu leur bétail. Nous avons grandi sans connaître ce genre de catastrophe. Puis en 2019, nous avons connu des inondations majeures et depuis, chaque année, 2020, 2021, 2022, 2023, nous sommes soumis à des inondations. Et vu le niveau actuel [en septembre 2024, NDLR] nous sommes sûrs que nous serons encore inondés cette année."

La dernière fois, les eaux de l’Oubangui ont mis plus d’un mois et demi à se retirer. Pendant plusieurs semaines, de nombreux habitants n'ont eu d'autre choix que de se réfugier dans la forêt, à l'image de Jean-Faustin Massimo, de ses deux épouses et de leurs onze enfants : « Nous y avons passé un mois et vingt jours. Nous avons construit des petites cabanes dans les collines. C'était très pénible, nous n'avions pas de lit, pas de bâches. Nous étions sous la pluie, avec des moustiques, des serpents, des nuisibles, des scorpions... Les enfants dormaient à la belle étoile, et nous n'avions rien pour les couvrir.

43 000 élèves privés d'école dans tout le Congo
Des enfants privés d'école pendant des semaines. Selon l'UNICEF, la scolarité de plus de 43 000 élèves a été interrompue dans tout le Congo lors des inondations de l'année dernière.

Sur le plan sanitaire, près de 480 000 habitants à travers le Congo ont eu besoin d'une aide immédiate pour avoir accès à l'eau potable, comme dans le quartier Camètre de Bétou où la montée des eaux a creusé le puits devant lequel le Dr Hermann Didi Ngossaki, responsable santé à l'UNICEF Congo, est inutilisable. "Il y avait de la boue, des excréments, des débris qui s'y sont introduits", explique-t-il. "Pendant sa réhabilitation, il a fallu distribuer des pastilles de chlore et montrer comment rendre l'eau potable pour éviter au maximum les maladies."

Depuis, le puits a été nettoyé et rehaussé. Georges Nikoué est désormais président du comité de direction. Il se dit touché par le souvenir de l'eau qui lui arrivait à la hanche dans sa maison : "J'ai perdu des documents précieux, des livres que mon père m'avait transmis." Il n'envisage cependant pas de s'installer ailleurs : "C'est ici que je suis né. Je veux rester. Il faut lutter contre ces inondations, en canalisant la ville ou le quartier."

Inquiétudes à l’approche de la nouvelle saison des pluies

Dans les eaux de l'Oubangui, encore calmes en ce matin de septembre, les habitants font leur lessive et leur lessive. Marème Bemba, animatrice de l'ONG EEA (Eau et Assainissement pour l'Afrique), observe la scène avec inquiétude. «Voyez-vous cette femme là-bas? Elle a de l'eau jusqu'à mi-cuisses. Alors qu’il y a trois mois, là où elle se trouve, il n’y avait pas d’eau », souligne-t-elle.

Un peu plus loin, des bateliers chargent un cargo sous le regard du chef du port de Bétou : « Malheureusement, nous n'avons pas ici de jauge d'étiage pour mesurer le niveau de l'eau. Il n’y en a que quelques-uns à Impfondo [chef-lieu du département de la Likouala, ndlr].” Un autre habitant, un commerçant connu localement sous le nom de Koumerou, est catégorique : « Nous sommes nés à Bétou, nous avons grandi ici. » Chaque matin, nous voyons comment l'eau monte. L'eau est déjà trop haute. Quand les pluies arriveront, cela recommencera. Nous serons inondés. » Pour lui, l'aide apportée par les autorités et les ONG l'année dernière est insuffisante : « Ils nous apportent du riz, des éponges, mais ça ne nous protège pas. Nous avons besoin de machines pour construire des canaux, des dérivations. »

Une prise de conscience à l'échelle nationale

Ce que les habitants observent à l'œil nu sur les rives de l'Oubangui, confirme Alain Loumouamou. Chef du bureau d'études, de recherche et d'applications au département de météorologie du Congo, il revient tout juste du 19ème forum de prévision climatique en Afrique centrale tenu en septembre à Douala, au Cameroun. Il plaide pour la mise en place d'un système d'alerte précoce sur l'ensemble du territoire : « Des instruments météorologiques doivent être installés dans les départements, comme des pluviomètres, un système de bornage et des balises pour contrôler la montée des eaux. Dans le département de la Likouala, les conditions de précipitations des températures supérieures à la normale saisonnière sont attendues pour octobre, novembre et décembre. Nous risquons de connaître les mêmes scénarios qu'en 2023. Avec l'augmentation des températures aujourd'hui liée au changement climatique, nous ne serons jamais épargnés par ces phénomènes naturels. Une prise de conscience accélérée par l’ampleur des inondations de l’année dernière. Dans la Likouala, les autorités locales encouragent les habitants à s'éloigner des banques.

Les acteurs humanitaires se préparent également à ne pas être pris de court. Au niveau gouvernemental, à Brazzaville, Marie-Cécile Mboukou Kimbatsa, ministre des Affaires sociales, de la Solidarité et de l'Action humanitaire, évoque une réflexion sur le plus long terme. "On ne peut plus se projeter dans la résilience, on se projette dans l'adaptation", assure-t-elle. « Il faut réfléchir au logement, au type de pratiques agricoles que nous allons mettre en œuvre dans ces zones puisque les populations ne veulent pas bouger. Il faut pouvoir mettre en place des infrastructures de santé et d'éducation durables et pouvoir canaliser l'eau pour permettre l'assèchement des zones résidentielles. Mais tout cela nécessite des investissements très importants. Ce ne sont pas des investissements qu'un État peut soutenir seul.

En l’absence de solutions à court terme, la résignation des plus pauvres
Retour à la Likouala. A Boyélé-Port, à deux heures et demie de route au sud de Bétou, le chef du village Sylvestre Doli s'apprête à appeler les habitants à évacuer. « Nous entendons parler du réchauffement climatique. Nous ne comprenons pas vraiment ce que c’est. Mais on voit que quand il devrait faire plus frais, il fait plus frais. Quand il ne devrait pas pleuvoir, il pleut abondamment et nous perdons nos récoltes. Nous souffrons, mais nous n’avons pas de solution », résume-t-il.

Plusieurs habitants de la Likouala racontent que depuis les inondations de fin 2023, les enfants se mettent à pleurer quand il pleut. Léonie Niamazongo, 62 ans, dit qu’elle a elle-même été très touchée par les inondations de l’année dernière, mais qu’elle a démissionné. « La dernière fois, quand l'eau est montée et que nous avons dû partir, nous avons d'abord réussi avec les tubercules de manioc qu'il nous restait, puis nous avons utilisé nos économies pour nourrir les enfants », raconte-t-elle. « Et puis, au bout d’un moment, il ne restait presque plus rien. J'ai huit enfants et vingt petits-enfants. Depuis les inondations de l’année dernière, j’ai mal au ventre, je me sens tendu. Quand je vois les eaux monter, mon cœur bat très vite.